On parle de pourparlers pour décrire des échanges verbaux ou écrits qui se font entre plusieurs personnes en vue de la conclusion d’un accord.
Cette période des pourparlers qui préside, en cas de succès, à la conclusion d’un contrat, est caractérisée par le principe de la liberté contractuelle.
Ce principe est toutefois tempéré par les exigences de bonne foi et de loyauté, d’information, de confidentialité et de rupture non abusive des pourparlers.
Il n’existe pas de dispositions générales de source nationale (Sénégal) réglementant cette phase précontractuelle contrairement à la législation française.
Les seules dispositions que l’on retrouve dans le corpus juridique sénégalais, sont de source communautaire, prévues par l’Acte Uniforme relatif au Droit Commercial Général (OHADA).
En effet, on peut relever dans le droit communautaire quelques dispositions relatives à cette phase précontractuelle en matière de vente commerciale.
La rareté des dispositions légales prévues à cet effet signifierait-elle que cette étape dans la contractualisation des relations n’est pas déterminante ?
Force est de constater que les pourparlers ont une certaine valeur juridique et peuvent, dans certains cas, revêtir une importance capitale dans le processus de la conclusion d’un contrat, indépendamment du dénouement heureux ou malheureux des négociations. C’est dans la perspective de mettre en exergue l’intérêt des pourparlers pour les parties, que s’inscrit la présente note.
- L’encadrement des pourparlers : une nécessité pour la protection des intérêts en jeu
Quels que soient leur durée ou le degré de leur formalisation, les pourparlers sont incontournables dans la phase de conclusion des contrats, qu’ils soient simples ou complexes. Il y a inévitablement un échange entre les parties, aussi bref soit-il, pour parvenir à un accord.
Les parties devront forcément manifester leur volonté de conclure un accord mais surtout d’en forger les contours lors des échanges d’informations et selon les intérêts en jeu.
Les pourparlers obéissent au principe de la liberté contractuelle.
C’est dire que chacun est libre d’engager des discussions avec qui il souhaite en vue de conclure un contrat et de les rompre à tout moment.
C’est ce qui ressort des dispositions de l’article 1112 alinéa 1 du code civil :« l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres ».
Le législateur communautaire abonde dans le même sens, dans le cadre spécifique de la vente commerciale, en disposant que « les parties sont libres de négocier et ne peuvent être tenues pour responsables si elles ne parviennent pas à un accord » (article 249 alinéa 1 AUDCG).
La décision de rompre donc des pourparlers est parfaitement valable et n’est pas en principe constitutive de faute comme cela a été rappelé récemment par la Cour d’appel de Paris[1].
De même, la chambre commerciale de la cour de cassation française avait retenu dans un arrêt rendu en date du 12 janvier 1999 qu’en l’absence de conclusion du contrat, il n’y a pas lieu d’en faire grief aux auteurs de la rupture « qui n’ont fait qu’user de la liberté qu’elles avaient de ne pas contracter ».
Ainsi, les parties à des pourparlers pourront librement y mettre fin lorsque se présente, au moins, l’un des cas suivants :
- L’existence d’un aléa important sur la conclusion du contrat alors que les négociations ne sont que peu avancées ;
- Le blocage des discussions qui ne mènent plus à rien (par exemple, une partie refuse systématiquement les propositions de l’autre partie) ;
- La modification importante des prévisions initiales relativement aux négociations (par exemple, quand la situation financière de l’autre partie se dégrade au cours des discussions).
Cependant, laisser cette liberté à la merci des parties pourrait conduire à des abus dans l’exercice de ce droit dont les conséquences pourraient être préjudiciables. Une forte probabilité de la réalisation de ce risque ôterait tout intérêt, pour les parties, à procéder à la formalisation de cette phase précontractuelle.
C’est pourquoi, comme toute liberté consacrée, elle n’échappe pas au contrôle du Législateur qui impose aux parties une certaine attitude pour éviter tout abus ou préjudice qui pourrait en découler. C’est ainsi que la bonne foi et la loyauté seront de mise, les parties devant faire preuve d’honnêteté pendant toute la durée des pourparlers.
Chaque partie doit formuler des propositions sincères et mener les négociations avec sérieux en respectant les intérêts de l’autre partie et rechercher effectivement la conclusion d’un accord.
Formalisés ou non, les pourparlers doivent se dérouler sous l’égide de la bonne foi et de la loyauté.
En effet, même s’ils sont marqués par le principe de la liberté, l’initiative, le déroulement et la rupture des pourparlers « doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. »[2].
Cette exigence de bonne foi est bien posée en matière de vente commerciale par le législateur OHADA qui va jusqu’à sanctionner le manquement à cette obligation en ces termes : « la partie qui conduit ou rompt une négociation de mauvaise foi est responsable du préjudice qu’elle cause à l’autre partie.
Est, notamment, de mauvaise foi la partie qui entame ou poursuit des négociations sans intention de parvenir à un accord »[3] .
Cette exigence de bonne foi a été également rappelée par la jurisprudence française à travers plusieurs décisions[4].
La bonne foi et la loyauté constituent donc les éléments moteurs des négociations, fussent-elles infructueuses. Les parties doivent donc s’interdire de rompre les pourparlers de manière abusive ou encore de détourner les informations obtenues au cours des pourparlers à d’autres fins.
- La loyauté dans l’échange des informations :
Les parties aux pourparlers ont une obligation d’information qui constitue un moyen efficace de s’assurer que le consentement mutuel de ces dernières a été éclairé.
Le code civil prévoit l’obligation d’information précontractuelle en ces termes : « celle des parties qui connait une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer ».
L’information donnée ne doit pas être tronquée, puisque de sa véracité et son intégrité dépend le consentement de chaque partie. Autrement, le consentement donné sur la base d’informations erronées ou tronquées, serait vicié.
Le manquement à l’obligation d’information précontractuelle est sanctionné par l’annulation du contrat sous certaines conditions si le défaut d’information a été à l’origine d’un vice du consentement.
La législation française va plus loin en prévoyant la mise en cause de la responsabilité délictuelle du débiteur du devoir de l’information.
- La confidentialité des pourparlers :
Au-delà de l’importance des informations échangées, la confidentialité de celles-ci constitue un élément crucial de protection des intérêts des parties surtout dans certaines industries ou activités dans lesquelles le savoir -faire est jalousement gardé.
En effet, les négociateurs peuvent avoir accès à des renseignements sensibles au cours de la période de pourparlers et qui doivent être couverts par le secret.
C’est ainsi que les négociateurs ont le devoir de confidentialité consistant à ne pas exploiter à d’autres fins les informations obtenues lors de la phase des pourparlers, qu’ils ne doivent sous aucun prétexte divulguer à des tiers.
Cette obligation de confidentialité est d’ailleurs très souvent formalisée dans un document signé par les parties avant l’entame de toute discussion.
C’est là tout le sens des accords de confidentialité encore appelés « Non-disclosure agreement » par les anglo-saxons.
La violation de cette obligation engage la responsabilité de son auteur.
Ceci est bien consacré par l’article 1112-2 du code civil qui dispose que : « celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun ».
- L’interdiction de la rupture abusive des pourparlers :
Le fait de s’engager dans des pourparlers n’oblige néanmoins pas les parties à conclure le contrat. La conduite des négociations peut très normalement aboutir à un échec et donc à la rupture des pourparlers. Ceci est juridiquement admis.
Seulement, la liberté de dénoncer unilatéralement les pourparlers doit se faire en dehors de tout abus ou toute faute de la partie à l’initiative de la rupture.
Le principe étant que la rupture des pourparlers n’est pas fautive, il revient donc à celui qui invoque le caractère abusif ou fautif de la rupture d’en rapporter la preuve.
S’il est ainsi avéré que la rupture unilatérale des pourparlers est intervenue dans des circonstances abusives ou fautives contraires à l’exigence de bonne foi, la responsabilité de son auteur sera engagée.
En effet, la gestation d’un contrat définitif, souvent lente et progressive, entraîne des dépenses importantes (frais de négociation, investissements préalables…) et ne peut donc être abandonnée entièrement par les négociateurs de manière abusive qui est généralement synonyme de déloyauté.
Pour déterminer si la rupture des pourparlers est abusive ou non, le juge prend en compte plusieurs éléments notamment :
- La durée des pourparlers ;
- L’état des négociations ;
- L’existence ou non d’un motif légitime ;
- La brutalité de la rupture ;
- Le degré d’expérience professionnelle des personnes concernées.
C’est en ce sens que la jurisprudence française a retenu que la rupture des pourparlers est abusive dans les cas ci-après :
- Lorsqu’il existe chez celui qui rompt les pourparlers une intention de nuire ou une mauvaise foi caractérisée : par exemple si les négociations ont été entamées afin d’obtenir certaines informations confidentielles ou d’empêcher une partie de négocier avec un tiers (Cass. com., 3 octobre 1978, n°77-10.915) ;
- Lorsque deux personnes sont engagées dans des pourparlers bien avancés depuis plusieurs mois et que l’une d’elles conclut finalement le contrat avec un tiers[5] ;
- Lorsque la rupture intervient sans explication ni motif légitime[6] ;
- Lorsqu’une personne physique mène des négociations pendant plusieurs mois en son nom, en dissimulant le fait qu’elle agissait au nom et pour le compte d’une personne morale (CA Versailles, 21 décembre 2001, n°99-6470, n°11550).
Par ailleurs, le préjudice réparable ne saurait consister dans la perte de chance de réaliser des gains qu’aurait permis la conclusion du contrat, mais seulement dans l’allocation de dommages et intérêts qui compensent les pertes subies, c’est-à-dire le remboursement des frais exposés dans la négociation.
Cette nature de réparation envers la victime de rupture abusive des pourparlers trouve son fondement dans le dernier alinéa des dispositions de l’article 1112 du code civil : « en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu ».
En définitive, au regard de ce qui précède, les pourparlers peuvent revêtir un intérêt de taille surtout lorsqu’ils sont entrepris en vue de conclure un contrat présentant des enjeux financiers et commerciaux importants ou ayant pour objet la disposition d’un savoir-faire ou d’une propriété intellectuelle.
C’est ainsi que le législateur africain doit s’efforcer d’améliorer l’encadrement de cette phase précontractuelle afin de mieux apporter une sécurité juridique aux négociateurs et préserver leurs intérêts.
[1] CA Paris, 14 mars 2018, n°15-09.551
[2] Article 1112 du code civil ;
[3] Article 249 alinéas 2 et 3 AUDCG ;
[4] Cass. com., 20 mars 1972, n° 70-14154 ;
Cass. com., 20 mars 1972, n° 70-14154 ;
Cass. com., 8 nov. 2005, n° 04-12322 ;
Cass. com., 18 janv. 2011, n° 09-14617 ;
Cass. com., 7 mars 2018, n° 16-18060.
[5] Cass. com., 26 novembre 2003, Arrêt Manoukian ;
[6] Cass. Com. 7 janvier 1997 ;
Cass. Com. 7 avril 1998
[1] CA Paris, 14 mars 2018, n°15-09.551